« Ce ne sont pas tant les personnes en situation de handicap qui sont inadaptées, que la société qui refuse de s’adapter à la différence. »

Interview réalisée par Véronique RIFFAULT

« Une manifestation du W.I.T.C.H. devant le Chicago Federal Building, en 1969. (© Instagram @witchpdx) »

Anaïs Choulet est chargée d’enseignement en Sciences humaines à la faculté de Médecine à Lyon et doctorante en philosophie sur la thématique du toucher dans la relation de soin et de santé. Rencontre avec une femme engagée vivant son handicap comme une singularité qui enrichit.   

Comment s’est déroulé votre parcours scolaire ? Mon amaurose congénitale de Leber a été diagnostiquée alors que j’avais 17 ans. Le handicap et la réalité de la maladie dégénérative se sont donc imposés très tôt. Cependant, j’ai eu la chance de bénéficier d’aménagements toute ma scolarité. Dès le collège, un ordinateur doté de Zoomtext et différentes loupes électroniques m’ont été attribués. Quand je n’ai plus été en capacité de lire avec mes yeux, j’ai poursuivi en braille et vocalement avec Jaws. Aujourd’hui, je travaille avec les outils numériques et une plage braille que m’a fournie le CNRS. Toutefois, même si le matériel de compensation est indispensable au bon déroulement des études, un entourage bienveillant et coopératif importe tout autant. Pour ma part, j’ai été extrêmement bien accompagnée. En me responsabilisant au maximum pour que je développe autonomie et indépendance, ma famille, mes amis, mes professeurs et toutes les structures qui m’ont accueillie, ont été des soutiens précieux. Et j’aime à penser que l’enrichissement a été mutuel.

En tant que chargée d’enseignement, quelles sont les techniques que vous avez mises en place pour assurer vos fonctions ? La déficience visuelle exige de l’organisation, mais rien d’insurmontable ! Pour la logistique – installation de vidéoprojecteur, branchement d’ordinateur, etc.- je sollicite les élèves. Les faire participer rend la transmission du savoir moins verticale. Par ailleurs, les étudiants ont appris à prendre la parole dans l’espace d’un silence, non en levant la main. Pour les cours, nous les animons souvent en binôme, donc je me synchronise avec l’autre intervenant. Quant à la correction des copies, le CNRS m’octroie des vacataires qui me les lisent. Corriger à l’oreille est une habitude à prendre. Tout est question d’adaptation, parfois même malgré soi.

L’écriture d’une thèse nécessite beaucoup de lectures et de recherches, comment procédez-vous ? Pour ce qui est des ouvrages et articles à lire, nombre d’entre eux se trouvent en ligne ou dans les bibliothèques sonores et numériques. Si tel n’est pas le cas, j’utilise les services de La Bibliothèque Numérique Francophone Accessible (BNFA) ou du Groupement des Intellectuels Aveugles (GIA) ou encore de l’association « Baisser les barrières » qui me les envoient dans le format souhaité : numérique ou braille. En effet, j’essaie de continuer la lecture avec les doigts. Pour le silence que cela procure, mais aussi pour garder une bonne orthographe. En ce qui concerne les études de terrain indispensables à toute thèse, je pratique la recherche-action car j’aspire à l’utilité sociale de mes travaux. En la matière, le shiatsu que j’exerce professionnellement et mon militantisme au sein de la cause féministe m’apportent une matière très intéressante.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants déficients visuels ? Tout d’abord, d’anticiper. Cela signifie trois choses. Se rapprocher le plus tôt possible du service handicap des structures : universités ou écoles. Pour que le matériel de compensation et l’aménagement des cours soient opérationnels à la rentrée. Ensuite, procéder au repérage des lieux si l’on peut se faire accompagner. Connaître parfaitement le trajet et s’éviter le stress de l’inconnu quand les cours démarrent fait gagner de la confiance en soi. Enfin, tenter de récupérer les bibliographies pour disposer à temps des ouvrages dans le format souhaité. Mon deuxième conseil serait d’essayer d’aller toujours au devant des autres. Ce qui n’est pas forcément aisé quand on ne les voit pas. L’altérité est pourtant essentielle pour se construire dans l’échange. Rien de plus appauvrissant que l’entre soi. Et ce, à tous les niveaux ! Enfin, je recommanderais de « se blinder » au moyen d’espaces d’échange et de réflexion. Notre société est largement structurée autour de la vue et des apparences, donc souvent violente, voire cruelle, à l’égard des personnes en situation de handicap visuel. Or, il est important de défendre un point de vue offensif ; à savoir que tout le monde doit faire un bout de chemin. Envisager le handicap comme une richesse, une autre perception des choses plutôt qu’une défaillance serait une prise de conscience salutaire, donc inclusive, pour le dire dans le jargon politiquement correct.

Avez-vous une devise dans la vie ? Un slogan féministe des années soixante-dix m’inspire particulièrement : « Ne nous libérez pas, on s’en charge ». Très engagée dans les causes auxquelles je crois, je m’emploie à tracer un chemin singulier et refuse que l’on pense à ma place. Et pour tenter de faire bouger les lignes, je crois plus que jamais à la force du collectif.